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Les photographies de Gilbert Garcin nous conduisent à des
territoires fantastiques : ceux de nos vies, de nos rêves et de nos
illusions. Utilisant des objets réels qu’il met en scène, l’artiste nous
invite au dialogue et à la réflexion sur notre condition humaine. L’humour
du photographe interdit tout jugement sur nos contemporains mais le sourire
nous rend complice de son regard d’une grande acuité.
Très souvent, on demande à Gilbert Garcin comment il pratique la
photographie ; son procédé intrigue. Comment fait-il ? Mais, pour
lui, l’essentiel n’est pas là : « En effet, ce qui est
important c’est le Pourquoi. C’est difficile de répondre mais je pense,
qu’avant tout, j’ai un besoin de communication. Alors qu’à un certain âge,
les contacts peuvent se raréfier la photographie est, pour moi, un moyen de
multiplier les contacts et d’aller à la rencontre des autres. Il y a
probablement en moi un refoulé qui aurait aimé dire et décrire un certains
nombre de choses. »
Gilbert Garcin nous assure que, pour commencer en art, il faudrait
avoir acquis la maturité de celui qui a vécu et réfléchi sur la nature des
êtres et des choses : « Les hasards de l’existence
m’ont fait arriver tardivement à la photographie. Une nouvelle existence
pour moi, par hasard. Mais est-ce qu’il aurait été bien de commencer la
photographie à l’âge de vingt ans ? »
L’âge ne fait rien à l’affaire. L’appétit aiguisé, la manière maîtrisée
par les stages aux Rencontres d’Arles, il ne s’agissait plus alors, pour
Garcin, que de s’y mettre tel un jeune homme. Il a tout le temps nécessaire
pour se lancer dans l’aventure et, ne s’attachant qu’à l’essentiel, l’art
ne pouvait que naître.
Le génie de l’artiste est d’aller au-delà des mots. L’image parle pour
lui ; elle est universelle, polyglotte et immédiate dans sa lecture.
Plus que des photographies, les tableaux de Garcin sont de véritables
images, de l’importance de celles d’Epinal, estampes qui célébraient,
instruisaient et divertissaient. Parfois devinettes visuelles, on les
admirait de génération en génération pour y découvrir, à chaque fois, de
nouvelles choses. On retrouve, dans les photographies de Garcin, ce jeu
populaire de l’œil et de l’esprit, accessible à tous, à la fois universel
et intemporel. Ainsi, comme à la veillée, on parle de ses images, on débat,
on s’en amuse mais on réfléchit aussi. Les oeuvres de Garcin invitent au
dialogue :
« Chaque image est l’occasion d’échanger avec les autres.
Si vous regardez mes images dans lesquelles j’apparais, chacun peut tout de
même s’identifier au personnage que je joue. Il n’est en aucune manière
question d’autobiographie. Dans ce sens, je représente la vie des autres. »
Convoquons un conseil de famille et apparaissent André Vigneau qui,
photographiant une chaussure, transforme l’objet en sujet, Horst P. Horst
dans sa rigueur esthétique, Man Ray pour son trafic photographique. Pas de
surprise à voir arriver dans l’instant ceux du cinéma : Georges Mélies
pour ses trucages fantastiques, Chaplin pris dans l’engrenage des Temps
modernes, Hitchcock et ses apparitions à la sauvette, Tati et sa silhouette
immuable. Et la peinture aussi. Magritte et ses tableaux au-delà du
réel : « J’aurais aimé connaître André Breton. Pour
certains, le surréalisme est, l’une des facettes de mon travail. J’ai été
soumis à une multitude d’influences et le surréalisme est peut-être un
élément de mon travail. Mais je ne me définis pas comme cela ».
N’oublions pas dans ces cousinages : Max Ernst pour la poésie de ses
collages, Caspar David Friedrich et son homme devant la mer. Tant d’autres,
encore, dans les photographies de Garcin : conservatoire d’un musée
fantastique, miroir de l’esprit, mémorial de l’humanité, procès verbal des
images commises dans le temps et qui ont réveillé nos âmes assoupies.
Chaque photographie de Garcin commence par une idée, attrapée au vol en
une seconde mais longuement mûrie par 80 ans de vie auxquelles
s’additionnent 55 années de mariage avec Monique. Puis, c’est le temps du
« bricolage » à l’égal de celui des studios hollywoodiens. Par
l’installation des éléments sur une table, le « maquettiste »
fait des miracles. La silhouette de son personnage prend place tel un
acteur sur le plateau du tournage. Les deux projecteurs allumés, la séance
peut commencer. Alors, il photographie et se promène dans le champ de ses
pensées manipulant les objets-symboles. La magie opère. Exigeant sur le
fond et dans la forme, le photographe ne gardera qu’une seule image. L’idée
révélée au regard des autres, l’œuvre est née. La silhouette de
l’objet/sujet Garcin a pénétré l’image avec sa complice de toujours
Monique. Mais ils ne sont ni Gilbert, ni Monique. Ils sont acteurs de
situation, figurants de l’illusion. Ils nous représentent :
observateur, acteur, victime ou maître du monde se confrontant au temps et
aux choses. Déclencheur de conscience, jongleur d’idée, amuseur spirituel,
Garcin projette ainsi le spectateur dans l’image, au coeur d’un véritable
spectacle philosophique accessible à tous.
Il pourrait utiliser d’autres moyens techniques, d’autres procédés
visuels, plus virtuels, électroniques et informatiques. Mais il préfère se
confronter au réel : « Il y a une différence
fondamentale entre les images de synthèse informatique et celles que je
fais. Dans mes images, tout est réel. Il n’y a rien d’inventé. Quand on voit
une matière ou un objet, il s’agit bien de réalité et les ombres sont bien
réelles. »
Cet art est multiple car, partant d’une installation sur la table, il
nous emmène en poésie vers l’étonnante réalité, voire cruauté, de notre
condition. L’artiste s’offre jusqu’à s’oublier lui-même, ne voulant jouer à
l’autoportrait, à l’auto consécration. Le personnage n’est que
l’objet-support, matériau à notre image. Cela tient de la performance tant
pour l’implication de l’auteur que pour le résultat obtenu. Ce jeu de
l’artiste est total et le « Je » apparent figure l’humanité dans
son entier.
Une image apparaît et la lumière nait en nos esprits. L’ancien marchand
de luminaires ne pouvait imaginer un tel succès : tant de livres
publiés et d’expositions internationales. Il feint de s’en étonner mais
l’homme devait savoir ; on ne part pas sur un tel chemin sans viser un
horizon large de grandes perspectives.
Les photographies de Garcin éveillent nos âmes avec subtilité et parfois
humour. Garcin n’est pas un directeur de conscience et n’accuse personne de
nos tourments. Il intervient avec élégance distanciée et empathie
bienveillante. Le jeu de l’esprit s’avère être aussi un divertissement
ultime, nous rappelant la phrase de Beaumarchais : « On doit
s’amuser de tant de choses de crainte de devoir en pleurer ».
Olivier Delhoume
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