La comédie sérieuse de Gilbert Garcin
Jean ARROUYE
L'œuvre de Gilbert Garcin est une comédie aux cents actes divers, comme
disait La Fontaine de ses fables, mais sans un accompagnement de morale.
Les images dans lesquelles il se met en scène ne sont ni des autoportraits,
ni les chapitres d'une biographie imaginaire gratifiante. Bien au
contraire, chaque photographie est autonome, figure une action parfaitement
claire dans son déroulement et son but, et fait sourire des mésaventures de
son protagoniste. C'est dire que toutes ces images sont marquées d'humour.
Celui-ci est d'autant plus efficace - on sait que l'humour aime l'implicite
- que le climat de ces images se situe toujours dans un entre-deux, entre
drôlerie et pathétique, entre amusement et angoisse, entre étrange et
absurde. Cette ambivalence multiple fait que les photographies de Gilbert
Garcin touchent toujours intimement leurs spectateurs car ils y trouvent
toujours de quelque façon un écho à leur préoccupations….
C'est dire que cette comédie est une comédie sérieuse, car si elle nous
distrait, elle nous fait aussi réfléchir, et si les situations figurées son
irréelles elles sont toujours également quelque peu emblématiques de notre
condition d'hommes. Certaines photographies semblent n'être qu'un gag,
comme celle où l'on voit Gilbert Garcin s'efforcer de faire rouler un
cerceau dans un océan de boue, d'autres touchent au mythe comme celle où,
comme Sisyphe on le voit pousser vers le sommet d'un tas de décombres un
énorme bloc de pierre qui ne pourra que retomber au bas de celui-ci.
Cependant, la plupart du temps ses photographies participent à la fois de
la commedia dell'arte et de l'allégorie, telles celle où on le voit
enserrer de son bras une grosse pierre lisse comme si c'était une femme ou
celle où il pousse un rouleau pour aplanir une étendue de sable que dans le
même temps ses pas creusent de profondes ornières. La tendresse ne serait-elle
que l'envers de l'aveuglement, la volonté de transformer le monde qu'une
forme de folie ? Finalement on découvre qu'il y a quand même une morale
impliquée dans les photographies de Gilbert Garcin. Mais elle n'a rien
d'utilitaire et ne vise pas à prescrire un code de conduite : elle est
spéculative et ne cherche qu'à réveiller l'intelligence de... De quoi, au
juste ? De la vie ou de la photographie ? C'est au spectateur d'en décider.
Cette liberté qui lui est laissée n'est pas le moindre charme des oeuvres
de Gilbert Garcin.
Jean ARROUYE
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